Rapport sur l'état des connaissances scientifiques écologiques concernant le décabromodiphényléther (décaBDE) : chapitre 4


4. Résumé et conclusions

Les données existantes sur la bioaccumulation du décaBDE n'appuient pas la définition de « bioaccumulable » proposée dans le Règlement sur la persistance et la bioaccumulation. Bien que la plupart des données disponibles montrent que le décaBDE a un potentiel limité de bioaccumulation et de bioamplification dans l'environnement, certains éléments de preuve indiquent un facteur de bioaccumulation plus élevé qu'on l'avait jugé antérieurement pour le décaBDE, et certaines données suggèrent une bioaccumulation éventuelle. En outre, des études récentes font état de concentrations de décaBDE en hausse constante chez certaines espèces sauvages et, dans certains cas, les concentrations mesurées ont atteint des niveaux que l'on peut définir subjectivement comme élevés. La modélisation effectuée pour appuyer cette évaluation montre, cependant, une certaine incertitude liée au métabolisme chez les poissons, étant donné l'intervalle de facteurs de bioaccumulation aquatiques inférieurs au critère de 5 000 à bien au-delà de 5 000. Le facteur de bioaccumulation chez les carnivores terrestres présente également des valeurs inférieures et supérieures à 1, selon le taux de métabolisme présumé. Bien qu'elles soient moins pertinentes que les facteurs de bioaccumulation ou de bioamplification, les mesures expérimentales du facteur de bioconcentration sont inférieures au critère de 5 000. Il a été démontré que les concentrations de la substance sont croissantes chez certaines espèces sauvages, et des données suggèrent que le décaBDE a atteint des concentrations jugées élevées dans certains organismes. Des facteurs potentiels limitant la bioaccumulation du décaBDE comprennent une efficacité d'assimilation faible et une transformation métabolique lente.

Il existe encore des incertitudes concernant les taux et les voies de transformation métabolique chez les organismes. Au cours d'études sur des mammifères et des poissons, on a signalé une débromation des PBDE, mais les quantités des congénères débromés étaient généralement très faibles (p. ex. représentant moins de 1 % ou de l'ordre d'un faible pourcentage de la dose totale de décaBDE selon l'étude). On a par ailleurs remarqué la formation de nonaBDE, d'octaBDE et d'heptaBDE chez les mammifères. En plus de ces groupes de congénères, on a aussi constaté une bioformation de pentaBDE et d'hexaBDE chez les poissons. Cependant, l'interprétation des résultats d'études sur la transformation métabolique est parfois compliquée en raison de la caractérisation incomplète des impuretés dans la substance administrée et du dosage de nombreux PBDE simultanément. Certaines études sur les rongeurs ont conclu, en s'appuyant sur des évaluations du bilan massique, que les taux de transformation peuvent être plus élevés; une étude a notamment indiqué qu'environ 45 % de la dose totale du décaBDE était indétectable et pourrait avoir été métabolisée en d'autres composés (comme les bromodiphényléthers hydroxylés et hydroxy-méthoxylés) ou s'être inextricablement liée sous forme de résidus.

En ce qui concerne la transformation chimique dans l'environnement, la présente analyse appuie les résultats de l'évaluation écologique préalable des polybromodiphényléthers (PBDE) (Environnement Canada, 2006a, 2006b), qui a défini la photodégradation et la biodégradation comme les mécanismes potentiels de la transformation dans l'environnement. Cette analyse mentionne également de nouvelles études diverses qui quantifient les taux de dégradation et proposent des voies de transformation chimique. Les études nouvelles et existantes fournissent des preuves qui permettent de conclure que le décaBDE se transforme dans l'environnement.

Cette évaluation a déterminé que le décaBDE qui est adsorbé aux minéraux secs et aux particules semble subir une phototransformation relativement rapide lorsqu'il est exposé à la lumière du soleil. En outre, le décaBDE adsorbé aux solides peut être sujet à une biodégradation, mais il semble que ce processus soit beaucoup plus lent que la photodégradation. Bien que la photodégradation du décaBDE puisse se produire à des vitesses considérables lorsqu'il est adsorbé aux substrats, seule une très petite fraction du décaBDE total présent dans l'environnement (p. ex. portion adsorbée aux particules ou aux surfaces solides), soit la fraction qui est en contact avec la lumière du soleil, serait susceptible de se photodégrader. D'après les résultats de la modélisation de la fugacité, on s'attend à ce que moins de 3,4 % du décaBDE présent dans l'environnement soit associé aux milieux aqueux ou gazeux ainsi qu'à une exposition potentielle à la lumière du soleil. Le décaBDE adsorbé aux surfaces solides (de sources naturelles et anthropiques) pourrait également être exposé à la lumière du soleil. Lors de ces phases, l'atténuation de la lumière et la protection de la matrice auraient une incidence sur l'exposition globale à la lumière du soleil et sur la photodégradation potentielle. Bien que la plupart du décaBDE présent dans l'environnement se répartirait dans les sédiments et le sol (prévision du modèle de fugacité > 96 %), la biodégradation se montre très lente avec des demi-vies de l'ordre de quelques années à plusieurs décennies. Certaines études n'ont par ailleurs montré aucune transformation évidente du décaBDE dans les sédiments ou le sol même après plusieurs décennies. Par conséquent, les preuves d'une transformation dans l'environnement pourraient être limitées et masquées par les profils de congénères de PBDE existants, lesquels sont dominés par des produits commerciaux de PBDE. De même, le peu d'analyses historiques des PBDE fortement bromés comme les octaBDE et les nonaBDE pourrait compliquer la détection et la confirmation de la transformation.

Selon les études de transformation en laboratoire disponibles, qui ont été menées dans des conditions en rapport avec l'environnement, il est raisonnable de s'attendre à ce que le décaBDE soit transformé dans l'environnement, ce qui entraînerait la formation de PBDE et de PBDF moins bromés ainsi que d'autres produits inconnus. Un certain nombre d'études ont montré que le décaBDE peut se transformer, par photodégradation ou par biodégradation, en hexaBDE, en heptaBDE, en octaBDE et en nonaBDE. Une étude indique également la formation de traces de tétraBDE et de pentaBDE par photodégradation, alors qu'une autre étude signale une biodégradation du tétraBDE et du pentaBDE dans des conditions de biodégradation améliorées. En outre, la photodégradation du décaBDE entraînait la formation de triBDF, de tétraBDF, de pentaBDF, d'hexaBDF, d'heptaBDF et d'octaBDF ainsi que de produits non identifiés.

La modélisation des facteurs de bioaccumulation et des facteurs de bioamplification a joué un rôle additionnel important dans cet examen et a été utilisée afin d'avancer si décaBDE et ses produits de transformation peuvent se bioaccumuler ou se bioamplifier dans les chaînes alimentaires.

Le modèle corrigé pour tenir compte du métabolisme a prédit que la gamme des facteurs de bioaccumulation pour le décaBDE en milieu aquatique varierait se situant en dessous jusqu'à bien au-dessus du critère de 5000 du Règlement sur la persistance et la bioaccumulation. Les prédictions font état de l'incertitude associée au potentiel de métabolisme du décaBDE chez le poisson et des déterminations de log Koe pour cette substance. Étant donné la limite d'hydrosolubilité exceptionnellement faible du décaBDE, on ne s'attend pas à ce que cette substance soit adsorbée de façon notable par les organismes aquatiques à partir de la phase aqueuse. Bien qu'elles soient moins pertinentes que les facteurs de bioaccumulation ou de bioamplification, les mesures expérimentales liées au facteur de bioconcentration sont inférieures au critère de 5000 pour le décaBDE. Selon les prédictions des facteurs de bioamplification des espèces terrestres (établies d'après la chaîne alimentaire du loup), qui tiennent compte du métabolisme du décaBDE, ce congénère présente une bioamplification faible, voire inexistante.

En l'absence d'une activité métabolique, on s'attendait à ce que les facteurs de bioaccumulation de tous les métabolites et dérivés potentiellement connus du décaBDE soient supérieurs à 5 000. D'après les hypothèses émises concernant la transformation métabolique (un scénario plus réaliste), presque tous les dérivés proposés donnaient toujours des facteurs de bioaccumulation dépassant 5 000. En l'absence d'une activité métabolique, les prédictions indiquent que les facteurs de bioamplification des dérivés potentiellement connus devraient être eux aussi très élevés. Néanmoins, selon les hypothèses avancées relativement à la transformation métabolique, les facteurs de bioamplification prédits sont bien plus faibles, mais demeurent supérieurs à 1. Cette analyse semble indiquer la possibilité que de nombreux métabolites ou dérivés du décaBDE soient extrêmement bioaccumulables et que quelques métabolites aient la capacité de se bioamplifier dans les chaînes alimentaires.

Dans l'ensemble, cet examen confirme, d'après des ouvrages publiés en date du 25 août 2009 qui ont été examinés, que le décaBDE ne répond pas aux critères de la bioaccumulation énoncés dans le Règlement sur la persistance et la bioaccumulation pris en application de la LCPE (1999). Cependant, des études récentes font état de concentrations de décaBDE en hausse constante chez certaines espèces sauvages et, parfois, les concentrations mesurées sont considérées comme élevées. En outre, des preuves ambiguës suggèrent une bioamplification potentielle dans les chaînes alimentaires. Bien que certaines incertitudes demeurent, il est raisonnable de conclure que le décaBDE peut aussi contribuer à la formation de dérivés bioaccumulables ou potentiellement bioaccumulables dans les organismes et dans l'environnement, comme les formes de bromodiphényléthers (BDE) moins bromées.

4.1 Considérations quant aux produits connexes

L'examen visait le décaBDE, mais les analyses et les conclusions concernent des produits ignifuges substituts dont la structure chimique et les modes d'utilisation sont semblables. Par exemple, le décabromodiphényléthane (ou décaBD éthane) - (1,2-bis[pentabromodiphényle]éthane; 1,1”-[éthane-, 1,2-diyl] bis[pentabromobenzène]) - est un substitut pour le mélange commercial décaBDE et a les mêmes applications ou des applications semblables. Les deux substances sont des produits (additifs) ignifuges utilisés dans les polystyrènes choc et les textiles. Les polystyrènes choc sont utilisés dans la fabrication de meubles-télévision, de revêtement de câbles et d'adhésifs (Kierkegaard, 2007). Au Japon, Watanabe et Sakai (2003) ont démontré que la tendance de consommation s'est renversée et que du mélange commercial de décaBDE, elle est passée au décaBDéthane.

La seule différence de structure entre le décaBDéthane et le décaBDE est le lien de carbone entre les noyaux aromatiques de décaBDéthane (en ce qui concerne le décaBDE, les noyaux aromatiques sont liés à un atome d'oxygène; se reporter à l'annexe F). Selon les similarités au niveau de la structure, les deux substances sont susceptibles d'avoir des propriétés physiques et chimiques, des caractéristiques de persistance et des tendances de transformation et d'accumulation dans les organismes qui se ressemblent également (Kierkegaard, 2007).

Le décaBDéthane a été décelé dans des boues d'épuration, tant au Canada (Konstantinov et al., 2006) qu'en Espagne (Eljarrat et al.., 2005), et dans des œufs de Goéland argenté de la région des Grands Lacs du Canada (Letcher et al.., 2007). Des quantités ont aussi été mesurées dans les tissus du doré jaune et de la lotte provenant du lac Winnipeg (Law et al., 2006). L'agence environnementale du Royaume-Uni a récemment publié une évaluation détaillée des risques associés à cette substance (Royaume-Uni, 2007b). Bien que les risques directs liés aux effets toxiques du décaBDéthane aient été évalués comme faibles, des préoccupations ont été soulevées quant au potentiel d'accumulation de cette substance dans les animaux sauvages et à sa transformation en d'autres produits chimiques. L'agence environnementale a également déterminé qu'il était nécessaire d'entreprendre d'autres études sur le décaBDéthane afin de confirmer les conclusions de son évaluation et, plus particulièrement, proposer des mesures plus fiables du potentiel de bioaccumulation et de dégradation de cette substance dans l'environnement.

Étant donné les préoccupations exprimées relativement au décaBDE dans le cadre du présent rapport sur l'état des connaissances scientifiques, la similarité des propriétés du décaBDE et du décaBDéthane, la présence du décaBDéthane dans les tissus des animaux sauvages du Canada et la possibilité que le décaBDéthane serve, à grande échelle, de produit substitut au décaBDE, il est nécessaire de mieux comprendre les risques liés à la présence du décaBDéthane dans l'environnement et sa capacité à s'accumuler dans les tissus des animaux sauvages et à se transformer en produits bioaccumulables. La compréhension des risques liés aux solutions de rechange permettra de procéder au remplacement d'ignifugeants de façon informée.

 

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