Rapport de suivi sur l'aniline : chapitre 3


3. Une mise à jour de l'évaluation d'aniline

3.1 Production, importation, utilisation et rejet

3.1.1 Production

En 2007, une installation a déclaré avoir fabriqué plus de 28 tonnes d'aniline et de chlorure d'anilinium sous la forme d'un sous-produit chimique de fabrication. De 2000 à 2007, la quantité d'aniline et de chlorure d'anilinium fabriquée, transformée ou utilisée d'une autre façon au cours d'une année variait de plus de 10 tonnes à plus de 50 tonnes (Environnement Canada, 2008). L'Inventaire national des rejets de polluants, qui est la source de cette information, ne donne cependant pas de chiffres précis à cet égard.

3.1.2 Importation

De 2000 à 2007, entre 13 et 48 tonnes d'aniline et de chlorure d'anilinium, entre 4 et 44 tonnes de N,N-diéthylaniline ainsi qu'entre 3 et 8 tonnes d'autres dérivés de l'aniline et du chlorure d'anilinium ont été importées annuellement (CICM, 2008).

3.1.3 Utilisation

À l'échelle mondiale, de 73 à 85 % de toute l'aniline sert à produire du méthylènebis(isocyanate de 4-phényle), ou MDI, aussi connu sous le nom de diisocyanate de méthylène. Le nitrobenzène, précurseur chimique le plus fréquent de l'aniline, est en général produit dans des installations où l'aniline et le diisocyanate de méthylène sont également produits. On fait réagir le diisocyanate de méthylène pour fabriquer de la mousse de polyuréthane souple et rigide. Le diisocyanate de méthylène n'est pas produit à des fins commerciales au Canada. Après la production de ce dernier, la deuxième utilisation d'aniline en importance est celle de produits chimiques pour le traitement du caoutchouc. L'aniline est la matière première de la plupart des principaux groupes de produits chimiques utilisés pour le traitement du caoutchouc que sont les agents protecteurs, les accélérateurs, activateurs et agents de vulcanisation, et divers agents de transformation du caoutchouc (Bizzari et Kishi, 2007; Amini et Lowenkron, 2003). Des produits chimiques pour le traitement du caoutchouc et des produits chimiques agricoles sont fabriqués à partir de l’aniline au Canada (SRI Consulting, 2009). Celle-ci est aussi utilisée dans le secteur du traitement pétrochimique (Environnement Canada, 2008).

3.1.4 Sources et rejets

Durant la période s'échelonnant de 2000 à 2007, plus de 2 tonnes d'aniline et de chlorure d'anilinium ont été acheminées annuellement à des installations de traitement des déchets hors site. La quantité déclarée des émissions fugitives d'aniline et de chlorure d'anilinium sur le site variait de 1 à 440 kg. En 2007, un peu plus de 28 tonnes d'aniline et de chlorure d'anilinium produites dans une installation ontarienne ont été traitées à l'extérieur avant d'être éliminées. Aucune émission fugitive n'a été déclarée pour ce site en 2007 (Environnement Canada, 2008). Les critères de déclaration des émissions d'aniline à l'Inventaire national des rejets de polluants sont tels que les installations qui fabriquent, transforment ou utilisent d'une autre façon moins de 10 tonnes d'aniline annuellement ne sont pas tenues de déclarer ces quantités, qui ne sont donc pas représentées dans la base de données de l'Inventaire.

La fabrication de caoutchouc et l'usure des pneus d'automobile constituent des sources potentielles d'aniline dans l'environnement. Dans le rapport de l'Union européenne concernant l'évaluation des risques associés à l'aniline, il a été estimé que des quantités d'aniline pouvaient être rejetées dans les gaz de cheminée d’une usine de vulcanisation du caoutchouc à une concentration d'environ 60 p.p. 106 (ou ppm) de caoutchouc vulcaniséNote de bas de page 1 (BESC, 2004). D'après ces données et d'après la production canadienne de caoutchouc en 2004, qui s'élevait à 1 464 900 tonnes (Lamb, 2005), les rejets annuels d'aniline pourraient être d'environ 88 tonnes avant la mise en place de mesures de lutte. Au Canada, toutes les usines de transformation du caoutchouc ont adopté des mesures de lutte contre les émissions. On croit que les sources d'émissions d'aniline sont les composés de sulfénamide et de guanidine utilisés comme agents de vulcanisation ainsi que les dérivés du 4-aminodiphényle utilisés comme agents antivieillissants. Le rapport de l'Union européenne mentionne également la présence d'aniline dans le caoutchouc provenant des pneus usés d'automobile et que cette source pourrait être la cause des 6 tonnes d'aniline qui se retrouvent chaque année partout en Allemagne (BESC, 2004). De façon semblable, on prévoit que les pneus d'automobile causeront des tonnes de rejets annuels d'aniline dans l'environnement au Canada.

En 2004, plusieurs rapports ont été rédigés concernant la migration de l'aniline contenue dans les ustensiles de cuisson. L'aniline semblait provenir de certains lots de polyamide noir. Il a été déterminé que la teneur en aniline des ustensiles était de 121 mg/kg et que les niveaux de migration dans la solution d’eau simulée chauffée à 100 °C variaient de 11 à 39 µg/dm2, ce qui est plus élevé que les taux de migration permis pour les amines aromatiques primaires dans la directive 2002/72/CE de l'Union européenne (Brede et Skjevrak, 2004). Les résultats des analyses réalisées sur des ustensiles de cuisson en polyamide par le laboratoire cantonal pour Basel, en Suisse, en 2004, 2005 et 2006, ont révélé qu'entre 10 et 18 % de ces ustensiles contenaient le 4,4'-méthylènediphénylamine et, en 2006, que 7 % contenaient de l'aniline qui avait la propriété de migrer des ustensiles à un taux dépassant le taux européen permis de 0,02 mg/L (Kantonales Laboratorium, 2006). Bien qu'aucune donnée ne soit disponible, on peut présumer que des ustensiles de cuisson similaires de cette nature polyamide pourront vendus et utilisés au Canada.

La concentration d'aniline dans l'encre de certains marqueurs verts et roses vendus au Danemark en 2006 a été mesurée et était de 0,22 et de 0,11 mg par gramme d'encre. Elle était, respectivement, 0.022 - 0.011% (Hansen, 2008). Des données sur la teneur en aniline de l'encre de marqueurs verts vendus aux États-Unis ont été obtenues auprès de l'ACMI. Les concentrations estimées d'aniline de 17 encres, combinées à la concentration des colorants azoïques, en supposant qu'ils étaient complètement métabolisés en aniline après leur ingestion, variaient de 1 × 10-5 à 1,2 %, la concentration moyenne étant de 0,2 %. Les données indiquaient que les marqueurs à l'encre verte contenaient 1,2 % d'aniline et de noir acide 2 (C.I.) combinés. Le noir acide 2 (C.I.) est un colorant azinique qui est transformé en aniline après l'ingestion (ACMI, 2009). Santé Canada a mené une étude sur des stylos et des marqueurs afin de déterminer la concentration d'aniline dans l'encre du matériel pour écrire d'utilisation courante. Les résultats ont démontré que la concentration d'aniline était inférieure au seuil de dosage (67 mg/kg; equivalent au 0.067 mg/g) dans tous les marqueurs pour enfants et que, dans l'ensemble, 94 % des stylos et des marqueurs échantillonnés présentaient des concentrations d'aniline inférieures à la limite de dosage. Seuls 5 échantillons analysés (2 stylos à bille et 3 marqueurs permanents) sur 86 avaient des concentrations d'aniline supérieures à la limite de dosage (rapport interne de Santé Canada, 2010). Bien que certaines recherches laissent supposer que l'encre des imprimantes à encre noire, par exemple, peut contenir jusqu'à 10 % de noir acide 2 (C.I.) (Xandex, 2006), les résultats d'échantillons analysés au Canada n'indiquent pas que de telles concentrations d'aniline seraient généralement présentes dans les produits canadiens. On ne sait pas dans quelle mesure les encres contenant de l'aniline sont utilisées au pays dans d'autres produits comme l'encre des timbres et les tatouages temporaires.

Les dérivés de l'aniline sont utilisés dans de nombreux colorants et pigments. De l'aniline résiduel pourrait demeurer dans le colorant ou le pigment comme c'est le cas dans les matériels finis (textiles, plastiques) pour l'encre des marqueurs décrits précédemment. Les dérivés de l'aniline sont également employés pour teindre les tissus, le bois, les plastiques, le papier et d'autres substrats. Les colorants azoïques, dont la structure commune est R-N=N-R' et dont beaucoup sont des dérivés de l'aniline, sont abondamment utilisés pour teindre les tissus. Le Danish Technological Institute (1999) a analysé des échantillons de tissus teints et a trouvé des amines aromatiques, notamment des concentrations d'aniline variant de 0,4 à 160 mg par kilogramme de tissu. Toutefois on ne peut confirmer s’il existe de tels textiles au Canada. Des concentrations d'aniline de l'ordre de 1 à 2 % ont été mesurées dans des échantillons de teintures pour chaussures en Espagne (Bureau européen des substances chimiques, 2004).

Au Canada, l'aniline n'a pas été homologuée comme principe actif ou comme produit de formulation dans les produits antiparasitaires. Beaucoup de produits chimiques agricoles contiennent une sous-structure de l'aniline et bien que ces composés ne soient pas tous homologués aux fins d'utilisation au Canada, certains sont utilisés et constituent une source potentielle d'aniline dans l'environnement en raison des processus de dégradation biotique et abiotique.


3.2 Exposition de la population

L'information présentée ci-après se limite à des données récentes et considérées essentielles pour une caractérisation quantitative de l'exposition de la population générale canadienne à l'aniline et donc pour une évaluation de la « toxicité » au sens de l'alinéa 64c) de la LCPE (1999). Les nouvelles données canadiennes pertinentes sont limitées et incluent des mesures de l'aniline dans l'air ambiant et l'air intérieur, dans le lait maternel des femmes canadiennes, dans les fruits et légumes examinés dans le cadre de l'Étude canadienne sur l'alimentation totale ainsi que les conclusions selon lesquelles aucune concentration décelable n'a été mesurée dans les sols agricoles.

Des amines monoaromatiques y compris l’aniline, ont été mesurées dans des échantillons d'air intérieur résidentiel prélevés dans deux régions de l'Est ontarien. Les concentrations d'aniline mesurées dans la maison de fumeurs étaient significativement plus élevées que celles décelées dans la maison de non-fumeurs. Par contre, les concentrations d'aniline décelées dans la maison des non-fumeurs n'étaient pas statistiquement différentes de celles mesurées dans l'air ambiant. Des concentrations d'aniline ont été décelées dans 26 des 69 maisons étudiées. La concentration maximale décelée dans l'air intérieur de la maison d'un fumeur était de 0,054 µg/m3; la concentration moyenne dans l'air intérieur des maisons des fumeurs, de 0,034 µg/m3. Les résultats de cette étude laissent croire que la fumée de cigarette peut être une source d'aniline dans l'air intérieur (Zhu et Aikawa, 2004). L'analyse d'un échantillon composite d'air intérieur prélevé dans 757 résidences canadiennes (Otson et al., 1994), qui était incluse dans le rapport de suivi précédent, n'est pas considérée comme étant fiable en raison de problèmes liés à une faible récupération analytique et à la manipulation des échantillons.

Zhu et Aikawa (2004) ont indiqué que les concentrations moyennes d'aniline, corrigées en fonction d'échantillons à blanc, mesurées dans l'air ambiant dans deux régions de l'Est ontarien étaient de 0,012 µg/m3 et de 0,007 µg/m3 et que la concentration moyenne totale d'aniline dans l'air ambiant était de 0,011 µg/m3. Les auteurs n'ont pas indiqué la fréquence de détection de l'aniline dans les échantillons d'air ambiant. On a jugé que la concentration atmosphérique beaucoup plus élevée d'aniline mesurée aux États-Unis et rapportée par Shah et Heyerdahl en 1988 (170 µg/m3), qui a été utilisée pour l'évaluation de 1994 et le rapport de suivi précédent, n'était pas représentative des concentrations d'air ambiant pour les secteurs résidentiels.

Des échantillons composites de 39 variétés de fruits et légumes examinées dans le cadre de l'Étude canadienne sur l'alimentation totale ont été analysés pour y déceler la présence d'aniline. L'analyse d'échantillons composites de pommes crues provenant de différentes villes canadiennes et recueillis au cours de différentes années a révélé que la concentration d'aniline variait entre  aucune concentration mesurée (niveau décelable de 0,010 mg/kg) » au 0,483 mg/kg . Des concentrations d'aniline ont été mesurées dans les échantillons de pommes provenant des études menées en 2001, 2004 et 2005 (les concentrations moyennes étant de 0,468, 0,085 et 0,278 mg/kg respectivement), mais aucune concentration n'a été détectée dans les échantillons de pommes des études de 2002, 2003, 2006 et 2007. La concentration moyenne d'aniline dans les échantillons où la présence d'aniline était décelable était de 0,277 mg/kg. Aucune concentration d'aniline n'a été décelée dans les autres fruits et légumes (Cao et al., 2009). La concentration d'aniline de 19,25 µg/g (équivalent au 19, 250 mg/kg) mesurée dans de l'ail acheté à Taiwan (Yu et Wu, 1989) est beaucoup plus élevée que celle mesurée dans des échantillons de fruits et légumes au Canada. Les données de l'étude menée par Neurath et al. (1977) ont servi à estimer l'exposition humaine à l'aniline dans le rapport d'évaluation de 1994, mais ce sont les récentes données de l'étude canadienne citée précédemment qui sont utilisées pour estimer l'exposition humaine à l'aniline dans le cadre de la présente évaluation. Une autre étude faisait état des concentrations d'aniline suivantes : de 0,19 à 12,6 nanogrammes par millilitre de boisson gazeuse colorée et de 0,66 à 9,15 nanogrammes par gramme de bonbon dur (équivalant au 0,00066 à 0,00915 mg/kg) (Lancaster et Lawrence, 1992).

Des échantillons de la fraction sans matières grasses du lait maternel, recueillis auprès de 31 mères allaitantes en santé fréquentant des hôpitaux des régions de Hamilton et de Guelph dans le Centre-Sud de l'Ontario, contenaient des concentrations d'aniline variant entre 0,05 et 5,2 ppb (µg/kg); les concentrations de 30 des échantillons variaient entre 0,05 et 0,8 ppb (µg/kg). La concentration d'aniline dans le lait des mères qui fumaient n'était pas statistiquement différente de la concentration mesurée dans le lait des mères non-fumeuses (DeBruin et al., 1999). La source de l'aniline mesurée dans ces échantillons de lait maternel n'a pas été déterminée.

Aucune concentration d'aniline n'a été décelée (seuil de détection de 0,3 mg/kg en poids sec) dans les échantillons de sols agricoles recueillis dans neuf provinces canadiennes, y compris ceux où de grandes quantités de pesticides avaient été utilisées à répétition sur des fermes pratiquant la culture intensive (Webber et Wang, 1995).

Les études examinées, mais considérées comme ne contribuant pas aux estimations quantitatives de l'exposition de la population, sont celles sur l'aniline mesurée dans l'air intérieur et ambiant (Palmiotto et al., 2001; Luceri et al., 1993), dans l'ail (Yu et Wu, 1989), dans un édulcorant à base de cyclamate (Hernando et al., 1999) et dans les produits de consommation (BESC, 2004; Brede et Skjevrak, 2004).

La méthodologie servant à évaluer l'exposition a évolué depuis l’achèvement du rapport d'évaluation de 1994. Des estimations déterministes de l'absorption quotidienne totale (moyenne et limite supérieure) de l'aniline présente dans plusieurs milieux pour six groupes d'âge de la population générale au Canada figurent dans les tableaux 1 et 1a; elles incorporent ces développements de la méthodologie (Santé Canada, 1998) et les données de surveillance plus récentes décrites dans la présente section. Les estimations de l'absorption quotidienne moyenne d'aniline pour les six groupes d'âge varient entre 0,045 µg/kg p.c. par jour chez les nourrissons allaités et 0,73 µg/kg p.c. par jour chez les enfants âgés de six mois à quatre ans, tandis que les estimations de la limite supérieure d'absorption quotidienne totale d'aniline pour ces groupes d'âge varient entre 0,068 µg/kg p.c. par jour chez les nourrissons nourris au lait maternisé et 1,16 µg/kg p.c. par jour chez les enfants âgés de six mois à quatre ans. Les hypothèses sur lesquelles s'appuient ces estimations sont présentées dans les notes de bas de page des tableaux.

Des scénarios d'exposition ont été élaborés pour l'absorption par voie orale et par voie cutanée d'encre de marqueurs chez les enfants âgés entre deux et trois ans, en supposant que la concentration d'aniline dans l'encre était de 0,22 mg/g. Les calculs sont présentés au tableau 2. On estime qu'un jeune enfant qui joue quotidiennement avec des marqueurs absorberait de façon chronique 0,047 µg/kg p.c. d'aniline par jour. On estime qu'une exposition aiguë découlant d'une application sur une superficie de 50 cm2 de peau (soit l'équivalent de la paume des deux mains) se traduirait par une absorption de l'ordre de 0,71 µg/kg p.c. En raison de leur comportement et de leur poids corporel, on présume que les enfants âgés entre deux et trois ans sont davantage exposés à l'encre des marqueurs que les personnes des autres groupes d'âge. L'exposition a donc été modélisée pour ce seul groupe d'âge. Les données disponibles sur la concentration d'aniline dans l'encre des marqueurs disponibles sur le marché ont servi à estimer l'exposition; toutefois, puisqu'un rapport de Santé Canada (2010) indique que les concentrations d'aniline dans les marqueurs pour enfants ne dépassent pas le seuil de détection (67 mg/kg; équivalant au 0,067 mg/g), l'exposition à l'aniline découlant de ces types d'encre devrait être de beaucoup inférieure à l’absorption estimée.

De 2004 à 2006, on a trouvé en Europe des ustensiles de cuisson en polyamide d’où s'échappaient des quantités mesurables d'aniline dans une solution d'eau simulée. Le tableau 2 présente les résultats d'une estimation prudente de l'exposition, qui sont fondés sur l'hypothèse voulant qu'un ustensile en polyamide soit utilisé pour brasser la soupe ou la sauce, que 0,03 mg/L/h d'aniline migre de l'ustensile vers les aliments et que l'ustensile est laissé dans la soupe ou la sauce pendant une heure, à 100 °C. D'après ces calculs, on estime que l'exposition à l'aniline se situe entre 0,04 et 0,14 µg/kg p.c. par jour. On considère que cette estimation est prudente, car il est improbable que toutes les soupes et les sauces soient ainsi brassées, sans arrêt, pendant une telle période ou à une telle température. De plus, les données provenant d'Europe indiquent que moins de 10 % de tous les ustensiles de cuisine en polyamide qui ont été analysés contiennent de l'aniline.

Les scénarios d'exposition, développés par le Bureau européen des substances chimiques, basés sur des niveaux d'aniline dans les échantillons de colorant de chaussure en Espagne, ont rapporté une absoption cutanée de 0,1 µg/kg par poids corporel par jour pour des adultes et de 0,043 µg/kg par poids corporel par jour pour des enfants (bureau européen des substances chimiques, 2004). Cependant, on ne peut confirmer si des colorants de chaussure semblables soient disponibles au Canada.

Une estimation distincte de l'exposition à l'aniline contenue dans le tabac a été établie en fonction de la concentration moyenne d'aniline (102 ng par cigarette) mesurée dans la fumée principale de cigarettes achetées aux États-Unis (Patriankos et Hoffmann, 1979) pour une personne qui fume 20 cigarettes par jour (Santé Canada, 1998). On estime que l'exposition à la cigarette chez un adulte pesant 70,9 kg correspond à 0,03 µg d'aniline par kilogramme de poids corporel, par jour.


3.3 Caractérisation des dangers et analyses de la relation dose-effet

3.3.1 Caractérisation des dangers

D'autres données toxicologiques sur l'aniline ou le chlorure d'anilinium ont été obtenues depuis la publication du rapport d'évaluation de 1994, notamment les résultats d'études de génotoxicité in vivo, qui ont démontré que l'acide désoxyribonucléique (ou ADN) des organes de rongeurs exposés à une seule forte dose orale avait subi des dommages (Sekihashi et al., 2002; Sasaki et al., 2000), ainsi que les résultats équivoques relatifs à l'induction de micronoyaux chez les rats et les souris après une exposition à une forte dose d'aniline à court et à long terme par voie orale ou intrapéritonéale (données examinées dans Bomhard et Herbold, 2005; Bomhard, 2003; Jones et Fox, 2003; Ress et al., 2002; Bayer AG, 2001a et 2001b, cité dans BESC, 2004; Witt et al., 2000). Les résultats d'études in vitro ont tous été négatifs pour l'induction de micronoyaux ou la transformation de cellules d'embryons chez le hamster syrien (Fritzenschaf et al., 1993), la mutagénicité chez l'Escherichia coli (Martinez et al., 2000) et le test d'Ames (Aßmann et al., 1997; Chung et al., 1995; id., 1996; Brennan et Schiestl, 1997). Les résultats ont cependant été positifs pour les aberrations chromosomiques dans les cellules ovariennes chez le hamster de Chine (Chung et al., 1995; id., 1996), les micronoyaux dans les cellules pulmonaires du hamster de Chine (Matsushima et al., 1999) et la recombinaison intrachromosomique chez l'espèce S. cerivisiæ (Brennan et Schiestl, 1997). Les données de génotoxicité mises à jour sont présentées au tableau 4.

Mentionnons parmi d'autres études toxicologiques en doses répétées menées sur des animaux de laboratoire une étude de toxicité subchronique dans le cadre de laquelle des rats Sprague-Dowley mâles sont exposés, pendant 90 jours, à une seule concentration de chlorure d'anilinium, qui est ajouté à l'eau qui leur est donnée à boire (Khan et al., 1993). Bien que l'étude de Khan et al. (1993) soit jugée inadéquate pour caractériser la relation exposition-réponse, les résultats de cette étude sont semblables à ceux obtenus dans le cadre d'autres études toxicologiques en doses répétées où le sang et la rate sont considérés comme des tissus indispensables pour déterminer les effets toxicologiques de l'aniline.

De nouvelles études sur la toxicité à court terme de l'aniline n'ont pas permis de déterminer que l'aniline causait d'autres effets importants que ceux déjà caractérisés (érythrotoxicité ou toxicité pour la rate) dans le rapport d'évaluation de 1994. Ces études examinaient plus en détail le mécanisme de toxicité possible de l'aniline (Khan, 2003a; id., 2003b; id., 2003c; id., 2006; Zwirner-Baier et al., 2003; BASF AG, 2001, cité dans BESC, 2004). L'exposition aiguë à une seule dose d'aniline (équivalant à 15 mg/kg), par inhalation ou par voie orale, a provoqué une méthémoglobinémie chez des chiens dans les heures qui ont suivi l'exposition, bien que les animaux se soient complètement rétablis le lendemain (Pauluhn, 2002; Bayer AG, 2000, cité dans BESC, 2004). Les symptômes d'une méthémoglobinémie sont ceux qui sont généralement associés à un manque d'oxygène (cyanose). Il semblerait que 20 % des cas de méthémoglobinémie ne causent pas de symptômes liés à la santé chez les populations en santé, c'est-à-dire celles dont l'hématocrite est normal. Cependant, des taux de méthémoglobine plus élevés, se situant entre 20 et 50 %, peuvent provoquer de l'essoufflement (dyspnée), des maux de tête, une tachycardie (accélération de la fréquence cardiaque) ou des étourdissements, tandis que des taux dépassant 60 à 70 % peuvent provoquer un coma ou causer la mort (De Gruchy, 1970; Wintrobe, 1970, cité dans Harrison, 1977).

Il a été démontré qu'une dose aiguë sans effet de 15 mg/individu (0,21 mg/kg p.c.) causait une méthémoglobinémie chez des sujets adultes volontaires (Jenkins et al., 1972; Gouvernement du Canada, 1994; BESC, 2004). Une analyse de données sur la population humaine réalisée par Santé Canada et citée dans Jenkins et al. (1972) semble indiquer qu'il faudrait une exposition aiguë par voie orale de 71 mg d'aniline (1 mg/kg p.c. par jour) pour causer une augmentation nocive des cas de méthémoglobinémie (20 %) chez l'humain.

Lors de l'évaluation initiale de 1994, les données disponibles ont été considérées comme étant inadéquates pour permettre de procéder à une caractérisation significative de la relation exposition-réponse relativement aux effets de l'aniline à la suite de son inhalation. Dans le cadre d'une étude à long terme sur l'inhalation de l'aniline, des effets minimes (cyanose légère, légère [non précisée] diminution du poids corporel et légère [évaluation statistique non présentée] augmentation des taux de méthémoglobine) ont été observés chez des rats Wistar mâles exposés (tout le corps) à une seule concentration (19 mg/m3) d'aniline pendant 26 semaines (Oberst et al., 1956).

Une étude récente sur l'inhalation a démontré que des rats Wistar mâles exposés à 96,5 ou 274,9 mg/m3 d'aniline 6 heures par jour, 5 jours par semaine, pendant 2 semaines, suivies d'une période de postexposition de 2 semaines, développaient une méthémoglobinémie associée à une érythrocytotoxicité. Les auteurs ont signalé une concentration sans effet nocif observé (CSENO) de 32,4 mg/m3 pour l'érythrocytotoxicité, associée à une séquestration des globules rouges, à une accumulation de fer et à une peroxydation lipidique, aucun effet n'ayant été observé à une exposition de 9,2 mg/m3 d'aniline (Pauluhn, 2004).

Les effets possibles de l'aniline sur le développement ont été étudiés chez les rats depuis l'évaluation de 1994 . Bien que des cas de fente palatine et de malformations cardiovasculaires aient été observés chez les fœtus de femelles gestantes injectées par voie sous-cutanée avec du chlorure d'anilinium, les auteurs étaient d'avis qu'il s'agissait d'effets tératogènes indirects de l'aniline causés par une méthémoglobinémie (hypoxie) maternelle (Matsumoto et al., 2001a; id., 2001b). Les auteurs n'ont signalé aucun effet sur le développement lors d'une étude précédente dans le cadre de laquelle 344 rats Fischer étaient exposés par gavage à des doses d'aniline toxiques pour la mère (10, 30 ou 100 mg/kg/j) du 7e au 20e jour de gestation (Price et al., 1985).

Les données pertinentes sur les humains se limitent aux résultats d'études épidémiologiques (restreintes) dans le cadre desquelles des travailleurs étaient exposés à l'aniline et à d'autres produits chimiques dans leur milieu de travail; toutefois, aucun lien n’a clairement été fait établi entre l’exposition à l’aniline et l’incidence du cancer (Sorahan et Pope, 1993; Mikoczy et al., 1996; Alguacil et al., 2000; Sathiakumar et Delzell, 2000). Lors d'une mise à jour ultérieure de l'étude de Sorahan et Pope (1993) l’ analyse des données additionnelles n'a démontré aucun lien entre la durée de l'emploi au sein du service de l'aniline et un risque accru de cancer de la vessie chez les travailleurs à la production de produits chimiques (Sorahan et al., 2000).

3.3.2 Modes d'action possibles de l'aniline

On ne comprend pas très bien le mode d'action de la cancérogénicité potentielle de l'aniline ou du chlorure d'anilinium. Tel qu'il est mentionné précédemment, la génotoxicité de l'aniline dans divers essais biologiques in vitro ou in vivo est variable. Des études ont démontré qu'une exposition alimentaire à long terme à des doses élevées ou toxiques (plus de 100 mg/kg p.c. par jour, pendant 2 ans) de chlorure d'anilinium entraînait des taux importants de tumeurs de la rate, mais seulement chez les rats mâles et non chez les souris (CIIT, 1982; NCI, 1978). De plus, la pertinence du mécanisme de toxicité de l'aniline chez les rats n'est pas claire chez l'humain.

Certaines données sur le mode d'action potentiel de l'aniline et de ses métabolites (examiné dans Bomhard et Herbold, 2005; Bus et Popp, 1987) sont disponibles. L'exposition au chlorure d'anilinium à des doses variant entre 10 et 30 mg/kg p.c. par jour a eu des effets hématologiques et, à long terme, une exposition à de fortes doses (100 mg/kg p.c. par jour ou plus), en plus d'avoir des effets hématologiques, a entraîné des tumeurs de la rate chez les rats (Mellert et al., 2004;CIIT, 1982; NCI, 1978). L'aniline provoque comme principaux effets toxiques des lésions des globules rouges et l'induction d'une méthémoglobinémie chez les rats (CIIT, 1982) et l'humain (Kearney et al., 1984; Harrison, 1977; Jenkins et al., 1972). La cancérogénicité peut résulter du fait qu'une exposition répétée à de fortes doses d'aniline cause des lésions des globules rouges et que le piégeage par la rate de ces globules chimiquement endommagés entraîne une surcharge de fer ou des dommages oxydatifs aux macromolécules, ce qui peut provoquer une réaction cancérogène dans la rate (Ma et al., 2008; examiné dans Bomhard et Herbold, 2005; Wu et al., 2005; Khan, 2000; id., 1999). Certains avancent aussi que les métabolites oxydés de l'aniline, notamment la phénylhydroxylamine ou le nitrosobenzène, peuvent causer des lésions aux globules rouges et être toxiques pour la rate en causant des dommages oxydatifs pouvant entraîner le développement de tumeurs de la rate (examiné dans Bomhard et Herbold, 2005; Khan et al., 2000; Bus et Popp, 1987; Goodman et al., 1984). Une étude récente a démontré qu'une exposition à des doses répétées d'aniline à court terme favorisait, chez les rats, la mise en place d'une voie de signalisation du stress oxydatif par l'activation du facteur nucléaire ?B (NF-?B) et du complexe AP-1 dans les cellules de la rate des rats. Cela entraîne la phosphorylation des protéines essentielles à la transmission des signaux cellulaires, ce qui peut causer une régulation positive des précurseurs pathologiques (cytokines proinflammatoires et profibrogènes) de la tumorogénèse. Les auteurs ont conclu que ces événements moléculaires précoces pouvaient finir par provoquer une fibrose de la rate ou des fibrosarcomes après une exposition continue à l'aniline (Wang et al., 2008).

Certaines études in vivo ont démontré que l'aniline pouvait être génotoxique et qu'il existait peut-être un mode d'action génotoxique relatif au pouvoir cancérogène de cette substance. Toutefois, rien n'indique que le mécanisme sous-jacent de la cancérogénicité de l'aniline pour la rate est fondé sur l'activité génotoxique (examiné dans Bomhard et Herbold, 2005; BESC, 2004). En outre, il se peut que les différences méthodologiques des essais de génotoxicité (p. ex., choix de la dose et voie d'exposition) et la réponse tumorigène observée seulement chez les rats ayant reçu de fortes doses (100 mg/kg p.c. par jour) appuient l'hypothèse d'un mode d'action non génotoxique pouvant être lié à un seuil (Bus et Popp, 1987; CIIT, 1982; Bomhard, 2003; Mellert et al., 2004; examiné dans Bomhard et Herbold, 2005). Par ailleurs, certaines études in vivo semblent également indiquer que l'aniline, lorsqu'elle est administrée à de fortes doses, peut interagir directivement avec l'ADN dans la rate de rats (mais pas de souris) ayant déjà reçu des doses, bien que la fixation de l'ADN dans la rate soit faible par rapport à ce qui est observé dans d'autres tissus (McCarthy et al., 1985).

On n'a pas réussi à élucider plus clairement le mode d'action de l'aniline depuis la publication du rapport d'évaluation de 1994. Les données dont on dispose ne suffisent pas à déterminer si la réponse tumorigène est médiée par l'interaction directe de l'aniline ou de ses métabolites avec les macromolécules de la rate (protéines, ADN ou lipides) ou si d'autres réponses cytotoxiques possibles de la rate sont en cause. La possibilité d'un mode d'action génotoxique ou d'autres modes d'action multiples doit être étudiée plus en détail.

3.3.3 Analyses de la relation dose-effet

Vu l'absence de données toxicologiques critiques récentes, les analyses dose-effet présentées ici reflètent essentiellement les analyses exposées en détail dans le rapport d'évaluation de 1994 publié aux termes de la LCPE (1988).

3.3.3.1 Exposition orale

Dans le cadre de l'évaluation de l'aniline de 1994, les lésions histopathologiques non néoplasiques de la rate des rats (l'espèce de rongeurs la plus sensible) étaient considérées comme le critère d’effet critique aux fins de la caractérisation de la relation dose-effet. Comme la cytotoxicité de l'aniline est peut-être le déterminant décisif de la cancérogénicité de ce composé pour la rate des rats (mais pas des souris), lorsqu'il est administré à de fortes doses, l'évaluation de la relation dose-effet pour les effets non néoplasiques peut avoir une action protectrice contre les tumeurs, quoique cette conclusion soit incertaine. En raison de l'incertitude liée au mode d'induction des tumeurs, l'évaluation de la virulence du cancer est donc également présentée ici et comparée à l'évaluation des effets non cancérogènes (décrite à la section 2.0).

Des estimations du pouvoir cancérogène de l'aniline, soit une dose tumorigène 05 (DT05) associée à une augmentation de 5 % de l'incidence des tumeurs par rapport aux groupes témoins, ont été calculées en fonction de l'incidence des tumeurs de la rate (sarcome du stroma, hémangiosarcome, fibrosarcome, ostéosarcome et sarcome capsulaire) dans le groupe témoin et dans trois groupes de rats CD-F exposés par voie alimentaire à 10 à 100 mg/kg p.c. par jour de chlorure d'anilinium (de 7,2 à 71,9 mg/kg p.c. par jour d'aniline) pendant un maximum de 104 semaines (CIIT, 1982). Cette étude a été considérée comme étant la plus appropriée pour l'évaluation quantitative de la DT05 puisqu'il s'agissait de la seule étude à long terme connue dans le cadre de laquelle un éventail adéquat de critères d'effet étaient examinés chez l'espèce de rongeurs la plus sensible. En outre, comparativement à l'essai biologique du NCI (1978), cette étude comportait plus de groupes recevant une dose d'aniline (3 groupes recevant une dose et des groupes témoins par rapport à 2 groupes recevant une dose) ainsi qu'un plus grand nombre d'animaux par groupe (n = 130 par sexe par rapport à n = 50 mâles); l'examen histopathologique effectué était également plus approfondi.

Des façons de mesurer le pouvoir tumorigène ont été mises au point en s'inspirant d'une modélisation en plusieurs étapes de l'incidence au moyen du GLOBAL 82 (Howe et Crump, 1982). L'incidence des tumeurs sur laquelle sont fondées les estimations du pouvoir tumorigène, le degré de liberté, l'estimation des paramètres et la nature des rajustements en fonction de la mortalité ou de la période d'exposition sont présentés au tableau 3 et à la figure 1. La plus faible valeur calculée de la DT05 est de 46 mg/kg p.c. par jour, selon un sarcome du stroma observé dans la rate de rats mâles. La limite inférieure de l’intervalle de confiance à 95 % de la DT05 (DTI05) pour cette valeur est de 35 mg/kg p.c. par jour. L'estimation la plus prudente du pouvoir cancérogène (c.-à-d. une DTI05 de 35 mg/kg p.c. par jour) est d'un ordre de grandeur supérieur à la dose minimale avec effet nocif observé (DMENO; 7,2 mg/kg p.c. par jour), sur laquelle est fondée la dose journalière admissible.


3.4 Caractérisation des risques pour la santé humaine

L'évaluation de 1994 portant sur l’aniline (Gouvernement du Canada, 1994) a permis de conclure que les études épidémiologiques n'offraient pas suffisamment d'information pour évaluer le pouvoir cancérogène de cette substance chez l'humain et qu'il y avait peu d'indications de son pouvoir cancérogène chez les animaux de laboratoire exposés à de fortes doses. Par conséquent, une dose journalière admissible (DJA) a été calculée en divisant la dose minimale avec effet (nocif) observé [DME(N)O] par un facteur d'incertitude, tout en considérant le peu de preuves du pouvoir cancérogène de l'aniline (tel qu'il est décrit à la section 2.0 ci-dessus). Depuis la publication du rapport d'évaluation de 1994, aucune autre étude de cancérogénicité ni étude épidémiologique n'a été publiée à l’égard de l'aniline. L'estimation la plus prudente du pouvoir cancérogène (c.-à-d. une DTI05 à 95 % de 35 mg/kg p.c. par jour) est d'un ordre de grandeur supérieur à la DMENO(7,2 mg/kg p.c. par jour), sur laquelle est fondée l'estimation calculée de la DJA pour des effets non cancérogènes (1,4 µg/kg p.c. par jour).

Dans la présente analyse de l'exposition à plusieurs milieux, les fruits et les légumes consommés dans l'alimentation constituent la principale source d'exposition à l'aniline. Les estimations de l'absorption quotidienne moyenne d'aniline varient et atteignent 0,73 µg/kg p.c. par jour chez les enfants âgés de six mois à quatre ans, tandis que les estimations de la limite supérieure d'absorption quotidienne totale d'aniline pour ce groupe d'âge est de 1,16 µg/kg p.c. par jour. L'absorption par voie alimentaire est principalement fondée sur l'analyse des fruits et des légumes réalisée dans le cadre des études canadiennes sur l'alimentation totale au cours des années 2001 à 2007 (Cao et al., 2009). La concentration d'aniline présente dans les échantillons composites de pommes crues achetées dans différentes villes canadiennes au cours de différentes années varie entre « aucune concentration mesurée » et 483 µg/kg; la concentration la plus élevée a été décelée dans les échantillons de pommes achetées en 2001 à Terre-Neuve-et-Labrador pour l'Étude canadienne sur l'alimentation totale (Cao et al., 2009). Le fait que la population canadienne soit exposée à l'aniline a été démontré lorsque DeBruin et al. (1999) ont mesuré des concentrations de l'ordre de parties par milliard de la substance dans chacun des 31 échantillons de lait maternel prélevés.

On a estimé de façon prudente que l'ingestion accidentelle d'encres contenant des concentrations d'aniline ne dépassant pas 0,022 %, soit directement ou indirectement par voie cutanée, et les comportements de léchage ou de suçage étaient la cause d'une exposition chronique de 0,094 µg/kg p.c. par jour chez les enfants âgés entre six mois et quatre ans. Un scénario d'exposition aiguë distinct a pour résultat une exposition estimée à 0,71 µg/kg p.c. par événement. Ces estimations sont considérées comme étant surestimées étant donné que Santé Canada n'a décelé aucune concentration d'aniline supérieure au seuil de détection dans les marqueurs pour enfants (Santé Canada, 2010). On a estimé de façon prudente que la quantité d'aniline qui s'échappait des ustensiles de cuisson pendant la préparation des aliments entraînait une exposition supplémentaire de 0,14 µg/kg p.c. par jour pour ce même groupe d'âge.

Les estimations moyennes et les estimations de la limite supérieure de l'absorption quotidienne totale d'aniline pour tous les milieux (qui atteignent jusqu'à 0,73 et 1,16 µg/kg p.c. par jour, respectivement), pour les groupes d'âge les plus exposés, sont inférieures à la DJA de 1,4 µg/kg p.c. par jour.

Par ailleurs, on a estimé de façon prudente que les enfants âgés de six mois à quatre ans étaient aussi exposés à des concentrations d'aniline dans les marqueurs variant entre 0,71 µg/kg p.c. par événement et 0,047 µg/kg p.c. par jour et à des concentrations dans les ustensiles de cuisson variant de 0,04 à 0,14 µg/kg p.c. par jour. Ces niveaux d'exposition sont inférieurs à la DJA de 1,4 µg/kg p.c. par jour.

En ce qui concerne les expositions aiguës, une comparaison entre l'exposition aiguë estimée à l'aniline contenue dans l'encre (0,71 µg/kg p.c. par événement) et la dose aigue sans effet observé de 0,21 mg/kg p.c. ou la valeur de 1,0 mg/kg p.c. obtenue par Santé Canada comme le niveau nécessaire requis pour causer des perturbatuions en augmentation dans la formation du methaemoglobinemia chez l'humain dans les marges d'exposition de 300 et de 1 400, respectivement. On considère que ces marges d'exposition sont adéquates pour résoudre les incertitudes liées aux données sur les problèmes d’exposition et de santé.

Vu la nature prudente des estimations de l'exposition au produit ainsi que la quantité maximale absorbée dans les différents milieux, combinées au facteur d'incertitude prudent qui est appliqué pour obtenir la DJA (facteur de 5 000 [× 10 pour une variation intraspécifique, × 10 pour une variation interspécifique, × 10 pour l'utilisation d'uneDMENO plutôt que d'une dose sans effet nocif observé, × 5 dans les cas où il y a peu d'indications de cancérogénicité]; Gouvernement du Canada, 1994), et en tenant compte du fait que les expositions estimées diminueraient avec l'âge, on propose que l'aniline soit considérée comme une substance qui ne pénètre pas dans l'environnement en une quantité, à une concentration ou dans des conditions de nature à constituer un danger au Canada pour la vie ou la santé humaines.


3.5 Incertitudes et niveau de confiance liés à la caractérisation des risques pour la santé humaine

On accorde une confiance modérée à une étude ayant fait état de concentrations d'aniline dans l'air ambiant et dans l'air intérieur de certains lieux de l'Est ontarien. Dans cette étude, la concentration d'aniline mesurée dans les blancs de terrain dépassait, dans beaucoup d'échantillons, le seuil de détection de la méthode pour les valeurs corrigées en fonction des blancs de terrain. Aucun échantillon n'a été recueilli dans des zones fortement industrialisées du Canada ou à proximité d'une source ponctuelle d'émissions d'aniline, ce qui ébranle la confiance accordée à l'hypothèse selon laquelle les estimations de l'exposition à l'air ambiant s'approcheraient de la limite supérieure.

L'évaluation actuelle indique que la consommation d'aliments, particulièrement de fruits et de légumes (Étude canadienne sur l'alimentation totale), s’avère la principale source d'exposition à l'aniline, ce qui est conforme à la prévision issue du rapport d'évaluation des risques associés à l'aniline de l'Union européenne (BESC, 2004). Étant donné que l'exposition à l'aniline contenue dans des aliments autres que les fruits et les légumes n'a pas été prise en considération, l'exposition est peut-être sous-estimée. De plus, la source de l'aniline découverte dans les pommes crues achetées au Canada est inconnue. On ne sait pas non plus si ces pommes ont été cultivées au Canada ou importées. Quant aux concentrations d'aniline mesurées dans le lait maternel des femmes canadiennes, on les estime très fiables.

On est relativement certain que la consommation d'eau potable et l'ingestion de sol ne contribuent pas de façon significative à l'absorption d'aniline par la population canadienne. En effet, aucune concentration de cette substance n'a été décelée selon des mesures sensibles prises dans des échantillons d'eau potable et de sols agricoles recueillis en plusieurs endroits au Canada.

Par ailleurs, on ignore dans quelle mesure les produits de consommation susceptibles d’entraîner une exposition à l'aniline sont disponibles au Canada. Bien que l'aniline ne soit utilisée volontairement comme ingrédient qui entrent dans la fabrication des produits de consommation, elle peut être présente dans ces produits sous la forme d'un résidu comme des dérivés de l'aniline qui ont plusieurs utilisations y compris les colorants et pigments. L’aniline peut en outre se former de manière endogène, après l'ingestion de certains dérivés de l'aniline. On accorde un niveau de confiance modéré aux résultats de la modélisation de l'exposition des enfants à l'encre de marqueurs. En effet, dans le cadre de l'analyse de 86 échantillons de marqueurs et de stylos effectuée par Santé Canada (Santé Canada, 2010), aucune concentration d'aniline supérieure au seuil de détection n'a été mesurée dans les marqueurs pour enfants.

On accorde également un niveau de confiance modéré à la base de données sur la toxicité qui sert de fondement au calcul de la DJA, même si on est relativement certain que les effets critiques qui surviennent après l'ingestion correspondent à ceux qu'on observe dans la rate. Les données disponibles sur les effets de l'inhalation de l'aniline sont quant à elles insuffisantes pour caractériser la relation exposition-réponse.


3.6 Conclusion proposée

À la lumière des données disponibles sur la possibilité que l'aniline ait des effets nocifs sur la santé humaine, il est proposé que l'aniline ne pénètre pas dans l'environnement en une quantité, à une concentration ou dans des conditions de nature à constituer un danger au Canada pour la vie ou la santé humaine.

Il est proposé de conclure donc que l'aniline ne satisfait pas au critère de l'alinéa 64c) de la LCPE (1999).

 

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